Elle boucle la mer*

Elle boucle la mer.
Elle ne prend pas le chemin le plus court,
Elle part et elle revient.
On dirait une indécise, une danseuse, parée d’oublis,
Si bleus.

Je ne suis jamais loin de son absence,
De ses départs,
Des parts d’elle que je becquette
En ayant peur de la blesser.

Mère mangue mère manque
Mère figue fugue
Mère écharpée, peut être pillée par les mouettes et leurs festins sans retenue,
Mère en boucle, retenue,
Bouclée quelque part.

Les éclats de soleil sur les vagues sont des tesselles ébréchées.
Je les vois assembler des visages de noyées
D’une beauté inouïe.
Ces visages, je les connais.
Sans bruit, ils jaillissent, ruissellent, s’effacent.
Je ne peux jamais savoir si ma mère engloutie
Semblait heureuse ou bien pleurait.

Elle boucle la mer.
Aux bords des villes, les vrilles de fleurs mauves ont l’odeur des pavots.
Les buissons poussent dans les terrains vagues,
Des garçonnières pour oiseaux insectes mélisse et mulots
Des campements, des tanières entassées, des casseroles et des poussettes, et des bébés :
L’océan bringuebalé.

Echappées belles les boucles brunes de ma mère sur la mer.
Elles m’étreignent et me teignent d’espace et de nuit.
Elles me portent et m’emportent.

Elle s’emporte où ma mère ?
Elle porte un secret ?
Elle s’emporte en secret
Elle intente un procès ?
Elle s’encolère contre vents et marée
Elle est hors d’atteinte.
Elle me porte atteinte.

Ma mère est une reine aux boucles bleu nuit.
Ma mère nuit et bruit en contrebande.
Privée de rives.
Rivés aux rêves.
La réalité est en faute.

Il fait bleu, il fait nuit.
Une éclipse de mère sur l’océan !
Ma mère, elle me donne des pensées
Qui lui ressemblent
Les mots bouclent
Dans ma bouche
La retiennent sans guérir

Ma mère,
Elle n’est jamais loin de ses absences
Tout à coup elle affleure, elle me voit.
La joie sur son visage m’éclaire
Nous sauve du mauvais sort.

J’attends ma mère, j’attends l’heure bleue.
La lumière en lisière du jour et de nuit :
On dirait qu’elle attend qu’on la voit,
On dirait qu’elle lave le ciel et la mer de tout soupçon.
Le monde tangue glisse vrille,
S’esquive de toutes parts
Soudain il est là, il va droit au cœur.
Il parle la langue des vivants

*Ce texte a été écrit en écho au livre LA MAMAN QUI S’ABSENTAIT,
de–Stéphane MARTELLY et Albin CHRISTEN, Éditions, Vents D’ailleurs, 2011.

19 février 2019

Vos commentaires

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom