15 janvier 19. Voies de l’intériorité voix des autres
Dans On habiterait le monde, j’ai pratiqué une forme d’écriture et de pensée qui restent dans l’expérientiel, en prise avec l’intériorité, avec ce qui en elle est inconnu ou /et en souffrance ; un mode de connaissance qui parvient à changer la donne, à dénouer un peu, à ouvrir. C’est ce mode de connaissance que je voudrais ici privilégier dans ce blog.
En fait, il est très proche de ce qui se passe spontanément dans notre relation aux œuvres culturelles. Quand un livre nous parle, il nous aide à lire notre expérience du monde et à nous l’approprier. Les échos, résonnances qu’il suscite nous donnent du grain à moudre, mettent en route la pensée et le rêve, facilitent les connexions du corps du sentiment et de la pensée, élargissent notre identité en la confrontant à celle d’un autre différent, et aussi aux autres qui sont en nous, à nos parts mal connues ou en rupture de ban.
Dans On habiterait le monde, j’ai vu, par exemple, se mettre en place un dialogue avec H. Michaux, dialogue auquel je ne m’attendais pas et que j’ai laissé s’effectuer, que j’ai accompagné. La confrontation avec H. Michaux, avec son désir d’élever des remparts a été une médiation pour entrer dans ce qui a été mon propre vécu de solitude et retrouver quelque chose de l’être désemparé que j’ai pu être. Je n’ai pas une connaissance approfondie de l’œuvre et de la vie de H. Michaux que l’on attend d’un biographe, je n’en suis pas non plus ignorante. L’impact de certains de ses textes et la curiosité qu’ils ont générés pour en savoir plus ont suffit pour enclencher un dialogue qui m’a aidé, sans pour autant affirmer être dans le vrai au sujet de l’expérience de vie de Michaux.
Il faut réaliser comme notre expérience de lecteur est libre, judicieusement audacieuse, ludique au sens de Winnicott. Le lecteur s’empare d’une œuvre, sans lui demander le droit de s’y abreuver et c’est sans exégèse savante, sans explication littéraire que le roman, le poème font leur chemin. Parfois ce que l’on connaît de la vie de l’auteur entre en résonnance avec ce qui nous émeut dans son œuvre et alors des pensées flottantes se lèvent, une rêverie se porte sur l’auteur, sur sa personne, sur ce qu’a pu être son parcours de vie. Je proposerai dans ce blog une confrontation, un dialogue avec des Autres (Auteurs, personnages, personnes) dont la manière d’habiter le monde m’émeut, m’agace, m’inquiète, m’interroge ; avec aussi des textes philosophiques, des essais qui font trace. C’est en suivant échos, résonnances, pensées qu’ils font lever, en m’adossant à eux et contre eux que je veux avancer dans ma compréhension de nos façons de nous appareiller au monde et d’y être heureux et malheureux, bénéfiques et destructeurs, éveillés et repliés dans nos fins de non recevoir.
Cet appui sur des œuvres revient à instaurer des détours. Détours par les autres qui sont autant de médiations et de voies d’accès à nos autres intérieurs. Cet étayage favorise un mode de connaissance en fait proche de celui que l’on découvre en psychanalyse. C’est dans la mesure ou nous entrons dans le transfert, dans la parole vive, spontanée, non maitrisée, qui nous échappe que le psychanalyste va pouvoir nous permettre de l’entendre en la faisant tinter à nos oreilles. C’est dans la mesure aussi où nous laissons les œuvres culturelles nous émouvoir que nous entrons avec elles dans un transfert. Nous déplaçons en elles notre connu et notre inconnu et c’est ainsi qu’elles vont pouvoir nous donner accès à notre monde intérieur, à leur manière sensible, condensée, polyphonique, voilée. Les œuvres qui nous parlent nous aident à nous entendre. C’est ainsi que je vais aborder celles qui vont s’imposer à mon attention, pour partager avec vous des rencontres significatives et s’en laisser éclairer.
On peut imaginer que se dessinera ainsi une carte où figureront non seulement noms d’auteurs, titres de roman, poèmes, essais, pays villes villages lacs précipices montagnes, hôtels prisons refuges , mais des mappemondes intérieures, des cartes personnelles du tendre et de l’amer. Et comme je n’ai pas de vision du monde définitive et certifiée, je ne m’attends pas à voir apparaître une carte unifiée, mais des fragments, des archipels, des états des lieux du moment, des vérités partielles à mettre à l’essai.
15 janvier 2019
Vos commentaires
1. Le 10 janvier 2019 à 18:35, par jocelyne En réponse à : l’écho de"on habiterait les mondes : la passerelle, le passerau.
10 janvier 19
La passerelle : féminin du passereau, oiseau migrateur….
J’aime ce nom, je le reçois comme une invite à communiquer ; à partager. Il est vital de partager son « être au monde » avec les autres ; mais ce n’est pas aisé, non seulement par la difficulté de trouver l’expression pour le communiquer ; mais surtout parce que sa racine est très profonde et secrète.
La question, l’interrogation sur la destinée, son mystère sous-tend une quête de ma propre existence. Il n’y a ni hasard, ni déterminisme. Pas de hasard, au sens où ce qui nous arrive, ce que l’on est et devient dépendrait de causes purement fortuites ; pas de déterminisme non plus, car celui-ci relève d’une illusion rétrospective : on observe le chemin qu’on a parcouru, et comme on constate un enchainement cohérent, même s’il y a des bifurcations et des ruptures, on a l’impression que c’était le seul chemin possible.
J’aime lire des biographies ou écouter des portraits d’artistes je suis toujrs étonnée de ce que les intéressés disent. A la question : » comment en êtes-vous venus à être danseur, comédien, musicien ? » La réponse que l’on entend est presque toujours la même : « cela remonte à mon enfance, c’est par hasard ; nous avions assisté à un spectacle avec ma classe ; cela m’a donné envie d’étudier cet art ». Or dans la classe il y avait 30 élèves, et c’est le seul chez qui ce désire s’est révélé. Il faut bien admettre que cet attrait existait en puissance et qu’il s’est révélé à l’occasion d’un évènement. Il se serait de toutes façons, révélé à une autre occasion.
J’adhère à la définition (citée de mémoire) d’Emile Souriau : « la destinée, c’est la rencontre entre une causalité externe et une finalité interne ». Cette finalité interne, il nous appartient de l’explorer, de la travailler (comme on travaille une pâte), ou de l’ignorer, de la renier, de la rejeter. Les circonstances peuvent être plus ou moins faciles ou difficiles, voire impossibles et conduire lors au désespoir.
Pour qu’une circonstance soit perçue comme occasion, et soit saisie, il faut qu’il y ait une aspiration interne qu’elle vient nourrir. C’est là qu’intervient la passerelle, car toute vie est un échange. On reçoit à proportion de ce qu’on donne.
L’ouvrage : « On habiterait le monde », me touche profondément par son courage, sa lucidité et sa profondeur. « Notre monde », se colore à la base par un vécu de l’enfance plus ou moins tragique, confiant, par un élan de vie, ou un contraire une grande difficulté à être. Chez ceux pour qui la philosophie est essentielle, ce vécu va alimenter des problématiques existentielles diverses ; un acquiescement ou un refus de certaines compréhensions de l’existence. Assumer la mortalité, la souffrance , le tragique de la vie , deviendra pour l’un la tâche ardue et essentielle, gage d’humanité ; pour l’autre, sans du tout nier cette dimension, le souffle de l’Esprit sera accueilli et travaillé. Mais les » mondes « se rejoignent si l’on comprend la spiritualité comme une tâche difficile et tout aussi authentique rejetant le dualisme mortifère de la religion catholique ; Il ne s’agit pas de se détourner de la vie, de la matière. La joie profonde n’est pas de l’exubérance, ni de la gaité ; elle donne l’énergie, la force de partager, d’aider l’autre à s’éveiller, d’irriguer le monde, de communiquer un élan de vie et de confiance. La vie n’est pas absurde, mais tout est à construire, à insuffler, pour que l’humanité parvienne à retrouver le sens de la Vie, le rapport bienveillant avec les autres, les animaux, la nature.
Le souffle de l’Esprit comme passerelle, comme passereau…
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Le 14 juillet 2019 à 18:43, par Monique En réponse à : l’écho de"on habiterait les mondes : la passerelle, le passerau.
Merci beaucoup pour vos commentaires. Je suis heureuse qu’ils permettent de faire entendre un point de vue autre que celui qui m’anime. Votre perspective complète et questionne la mienne utilement.
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2. Le 12 janvier 2019 à 21:20, par katicat En réponse à : Une belle entrée en matière
Alléchante entrée en matière. Les lecteurs du blog auront-ils un rôle actif ? Commentaires, forum, etc ?
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3. Le 14 juillet 2019 à 20:40, par Monique En réponse à : 15 janvier 19. Voies de l’intériorité voix des autres
Oui bien sûr, les réactions et contributions des lecteurs sont les bienvenues.
Le projet est d’investir ce blog comme une aire transitionnelle, un espace de transit, de confrontation et d’élaboration de l’expérience humaine, ouvert à vos contributions.
Donc, à vos claviers !
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